Le vaccin longtemps espéré pour mettre fin à la crise du Covid-19 est en train de devenir réalité. L’Agence européenne des médicaments (AEM) doit se pencher lundi 21 décembre, une semaine plus tôt que prévu, sur la demande d’autorisation du vaccin Pfizer-BioNTech. Des campagnes de vaccination ont déjà débuté au Royaume-Uni et aux Etats-Unis.
Cette campagne vaccinale qui s’organise en un temps record, moins d’un an seulement après le séquençage complet du génome du SARS-CoV-2, suscite de nombreuses interrogations.
Nous avons essayé de répondre aux principales interrogations.
Il y a 56 candidats-vaccins en essai clinique sur l’homme, selon un décompte réalisé le 8 décembre par l’OMS. Parmi ceux-ci, douze sont en phase 3, la dernière étape qui consiste à tester l’efficacité du vaccin à une grande échelle. Ils sont développés par des firmes pharmaceutiques, des sociétés de biotechnologies ou des instituts de recherche spécialisés du monde entier. Quatre d’entre eux ont déjà annoncé des résultats spectaculaires en novembre, dont trois avec des taux d’efficacité supérieurs à 90 %, donc bien au-delà des 50 % recommandés par l’OMS :
- l’alliance germano-américaine Pfizer/BioNTech ;
- la societé américaine Moderna ;
- l’Institut de recherche russe Gamaleïa.
Les vaccins sous soumis à une multitude de tests rigoureux qui prennent généralement une dizaine d’années. Plusieurs étapes sont obligatoires avant homologation, avec d’abord des tests précliniques sur des animaux. Viennent ensuite les essais cliniques sur l’homme en trois phases successives :
- La phase 1, menée sur quelques dizaines de personnes, étudie l’immunogénicité (capacité à produire une réponse immunitaire) et la tolérance d’un candidat-vaccin, et la meilleure dose à inoculer
- La phase 2, conduite sur des centaines ou milliers de volontaires, surveille toujours la réponse immunitaire, la tolérance du candidat-vaccin, et identifie mieux les effets secondaires. Elle sert aussi à déterminer la bonne posologie et à définir un calendrier vaccinal.
- La phase 3, la plus importante, est conduite sur une plus grande échelle (des dizaines de milliers de volontaires), et cherche à évaluer sur une population hétérogène la sécurité et l’efficacité du vaccin. Elle sert ainsi à mieux cerner le rapport bénéfice-risques du vaccin.
A l’issue de cette étape, si le candidat-vaccin obtient des résultats positifs, le laboratoire dépose une demande d’autorisation de mise sur le marché auprès des autorités sanitaires.
Le vaccin est alors distribué et s’ouvre une phase 4, celle de la pharmacovigilance : les patients et médecins signalent auprès des instances concernées d’eventuels effets secondaires inconnus.
- Le Royaume-Uni a été le premier pays à autoriser le vaccin Pfizer-BioNTech, le 2 décembre. Les premiers patients, des personnes âgées, ont été effectivement vaccinés dès la semaine suivante.
- Les Etats-Unis, très violemment frappés par l’épidémie, ont suivi : une infirmière de New York a été la première à recevoir une dose du vaccin, le 14 décembre.
- Les pays de l’Union européenne sont suspendus à la décision de l’Agence européenne du médicament, qui doit se réunir le 21 décembre. Suivront ensuite un avis de la Commission européenne, puis, en France, celui de la commission technique des vaccinations de la Haute Autorité de santé. Ainsi, la vaccination pourrait débuter effectivement dans les derniers jours de l’année. En France, les premières personnes vaccinées, dès la fin de décembre, seraient les résidents des Ehpad.
L’élaboration d’un vaccin prend plusieurs années, voire une décennie. Mais l’urgence sanitaire a mobilisé des moyens financiers et scientifiques sans précédent dans le monde entier. La France a annoncé en mars 250 millions d’euros pour la recherche sur le Covid-19. En août, l’UE a annoncé avoir investi plus de 50 millions d’euros. Plusieurs milliards de dollars ont également été débloqués aux Etats-Unis grâce à l’opération « Warp Speed » pour accélérer le développement des vaccins. Cet argent a permis d’avancer vite.
De plus, les autorités ont utilisé des procédures souples et accélérées. Des laboratoires comme Pfizer ont lancé très tôt la production de leur vaccin en grande quantité, sans attendre le feu vert des autorités de régulation. C’est ainsi que le géant pharmaceutique prévoit de fournir près de 50 millions de doses avant la fin 2020, et plus d’un milliard pour 2021.
La connaissance des coronavirus a également aidé. Même si ce virus est nouveau, il est similaire en certains points au SARS-CoV-1, responsable de l’épidémie de SARS au début des années 2000. Ce qui a aidé les chercheurs à mieux cerner les mécanismes de son cousin.
Aussi, les phases des différents essais cliniques habituellement espacées ont pu être menées rapidement et conjointement. Enfin, les progrès de la recherche et la maîtrise des nouvelles technologies ont joué un rôle capital. La technique innovante de l’ARN messager a été développée pour répondre rapidement à des maladies infectieuses émergentes. Dès que les chercheurs ont séquencé le génome complet du SARS-CoV-2 en janvier, les laboratoires ont commencé à développer leur candidat-vaccin. Moderna a pu démarrer la phase 1 de son essai clinique en mars, et sa phase 3 au mois de juillet. Du jamais vu.
Compte tenu de l’urgence sanitaire il a fallu accélérer le processus de fabrication des candidats-vaccins tout en menant une évaluation scientifique rigoureuse. Pour gagner du temps, les laboratoires ont mené des phases d’essais conjointement. Pfizer a mené en début d’année la phase 1 avec la phase 2 et a lancé la phase 2 et la phase 3 au mois de juillet.
Habituellement, les trois phases sont conduites les unes après les autres avec parfois plusieurs années d’écart entre elles. Comme pour tout essai clinique, les laboratoires font appel à des comités d’experts indépendants chargés de surveiller le déroulement des tests et de réexaminer les données. Ainsi Pfizer et BioNTech avaient attendu que le comité de surveillance des données, le Data Monitoring Committee (DMC) donne son aval avant d’annoncer ses résultats le 9 novembre.
Ces comités indépendants peuvent émettre des recommandations en cas de problème, comme pour le candidat-vaccin d’AstraZeneca dont les essais avaient été suspendus en septembre après l’apparition d’une maladie inexpliquée chez un participant. « C’est plutôt rassurant. Cela indique que malgré le caractère d’urgence dans lequel sont réalisés ces essais, les systèmes de contrôle fonctionnent aussi bien qu’à l’accoutumée », s’est réjouie la vaccinologue Marie-Paule Kieny, interrogée par Le Monde.
Aussi, les laboratoires ont travaillé de concert avec les autorités et ces dernières ont pu faire appel à des procédures d’urgence, comme l’Emergency Use Authorization aux Etats-Unis. En Europe, l’Agence européenne des médicaments (EMA) a mis en place des procédures pour évaluer rapidement les candidats-vaccins et permettre de raccourcir les processus décisionnels. Elle a lancé en octobre « la rolling review », une réglementation qui permet d’évaluer en continu les données, au fur et à mesure de leur disponibilité, sans déroger à la sécurité. « Les procédures réglementaires seront souples mais resteront aussi rigoureuses qu’elles l’ont toujours été », a souligné la Commission européenne.
Le directeur général de l’OMS, Tedros Adhanom Ghebreyesus, a été clair : « Le vaccin seul ne mettra pas fin à la pandémie. » Il a rappelé au passage, le 16 novembre, que « les personnes devront toujours être testées, isolées et soignées, les contacts devront toujours être recherchés et mis en quarantaine, (…) les individus devront toujours être prudents ». De manière générale, un vaccin ne signe pas la disparitition d’une maladie. Dans le cadre de la rougeole, dont le vaccin est l’un des plus efficaces jamais développés, on constate régulièrement des flambées épidémiques dans plusieurs pays.
De plus, atteindre une immunité collective grâce aux vaccins dépend en partie de leur efficacité (les anticorps développés et leur protection), de leur conservation (certains vaccins conservés à des températures très basses ne sont pas adaptés à une vaccination de masse), et de leur distribution. Pour le moment, on sait que le candidat-vaccin de Pfizer protège l’individu vacciné, mais on ignore encore sa capacité à empêcher la transmission du virus.
Enfin, l’ensemble de la population mondiale n’aura pas accès aux vaccins en même temps, et le virus continuera de se propager si les populations relâchent leurs efforts. Pour la vaccinologue Marie-Paule Kieny, « le SARS-CoV-2 (…) est trop bien installé pour que l’on puisse l’éliminer grâce à l’induction d’une immunité collective par la vaccination ». Auprès du Monde, elle a précisé : « D’après une modélisation publiée dans la revue The Lancet, il faudrait pour cela vacciner presque 100 % de la population mondiale avec un vaccin qui serait efficace à près de 100 % pendant plusieurs années. On en est loin. »
Le SARS-CoV-2 est un virus à ARN qui mute au fil du temps, et même « tout le temps », selon la vaccinologue Marie-Paule Kieny. Le ministre anglais de la santé a ainsi évoqué à la mi-décembre l’existence d’une nouvelle lignée virale dans le pays.Ces mutations peuvent avoir de graves conséquences, notamment sur le mode de transmission du virus ou sur sa virulence, et le rendre ainsi potentiellement plus dangereux qu’au début. Mais, dans le cas de ce virus, qui a pour le moment peu muté, rien de tel n’a encore été observé.
L’Inserm expliquait en octobre que « plusieurs dizaines de mutations du SARS-CoV-2 ont déjà été décrites, sans que des conséquences sur l’épidémie aient été mises en évidence ». Une étude en prépublication mise en ligne en décembre a semé le doute sur un risque de baisse de la réponse immunitaire dans le cas d’un patient immunodéprimé traité par du plasma. Mais cela reste un cas particulier. Les mutations du matériel génétique du virus de départ n’ont pour l’heure pas d’impact sur les vaccins. Dans le cas contraire, les laboratoires en tiendraient probablement compte : « S’il mute de façon plus importante, peut-être faudra-t-il adapter le vaccin périodiquement, comme on le fait chaque année pour la grippe saisonnière », a estimé Marie-Paule Kieny.
Pour garantir un accès équitable aux vaccins aux pays pauvres, l’Organisation mondiale de la santé a lancé l’initiative Covax. Mené en collaboration avec GAVI, l’Alliance du vaccin et la Coalition pour les innovations en matière de préparation aux épidémies, ce dispositif rassemble des pays riches (notamment la Chine ou la France, mais pas les Etats-Unis), des donateurs privés et des organisations philantropiques (dont la Fondation Bill&Melinda Gates, qui est par ailleurs partenaire du Monde Afrique). Covax a pour objectif de réunir un maximum de fonds pour fournir des vaccins et des équipements médicaux aux nations à faibles revenus.
Actuellement, 94 pays riches ont rejoint cette initiative pour venir en aide à 92 pays à « revenu faible et intermédiaire ». Covax a réuni plus de 2 milliards de dollars, mais il en faudra 5 supplémentaires pour mener à bien cette mission. Le 22 novembre, Angela Merkel s’est d’ailleurs dite « inquiète » de la lenteur des discussions : « Le plus important (…) est que Covax entame les négociations avec les fabricants de vaccins en utilisant l’argent qu’il a déjà collecté. »
Pourra-t-on se faire vacciner contre la grippe et le Covid-19 en même temps ?
Oui. Les virus responsables du Covid-19 et de la grippe n’appartiennent pas à la même famille, mais les populations qui sont les plus vulnérables à ces deux maladies sont similaires. D’après la direction générale de la santé (DGS), « il n’existe pas de données scientifiques à ce jour qui indiqueraient que le vaccin contre la grippe pourrait protéger d’une infection à Covid-19 ». De même, le vaccin contre le Covid-19 ne protégera pas contre la grippe. Les vaccins qui permettent de lutter contre ces infections sont donc différents, et l’un ne remplace pas l’autre. La DGS ajoute qu’aucune étude « ne permet de supposer une possible mutation du virus de la Covid-19 par la vaccination contre la grippe saisonnière ». Les deux vaccins peuvent ainsi être administrés à une même personne, surtout si elle fait partie des publics ciblés pour être vaccinés en priorité.
La mise sur le marché d’un vaccin avec si peu de recul peut-elle s’avérer dangereuse?
Les inquiétudes sont légitimes. Certains candidats-vaccins utilisent des technologies récentes (ARN messager), et les essais cliniques se sont déroulés dans des temps record avec relativement peu de recul. Mais certains élements ont de quoi rassurer. Tout d’abord, même si la technologie de l’ARN messager n’a jamais été testée en phase 3, elle a été utilisée ces dernières années dans des essais de phase 1 et 2 sur plus de 10 000 volontaires.
La societé Moderna a par exemple experimenté cette technologie dans le cadre d’un vaccin contre le virus Zika ou la grippe. Des données existent donc déjà.
De plus, même dans le cadre d’une course effrenée, les laboratoires ont respecté les protocoles de sécurité en prenant des précautions pendant les essais. Les essais du candidat-vaccin d’AstraZeneca avaient été suspendus en septembre après l’apparition d’une maladie inexpliquée chez un participant. Ce fut également le cas pour Johnson&Johnson en octobre dernier.
Enfin, la pharmacovigilance sera particulièrement renforcée pour surveiller les effets potentiels des vaccins à moyen et long terme. Pfizer et Moderna ont confirmé qu’ils continueraient à suivre leurs volontaires pendant deux années supplémentaires. Du côté des autorités de régulation, la Commission européenne a annoncé en septembre le renforcement de la surveillance : « Toute nouvelle information collectée après la mise sur le marché sera répertoriée et évaluée le plus rapidement possible, (…) des mesures réglementaires appropriées seront prises en temps utile. »
Souvent mentionné dans la course aux vaccins, qui est « Big Pharma » ?
Le terme « Big Pharma » est souvent utilisé pour désigner les cinq principaux groupes pharmaceutiques mondiaux. Mais cette industrie regroupe en fait plus d’une cinquantaine de multinationales rachetant régulièrement des petites entreprises spécialisées dans la recherche.
Elles réalisent souvent une partie de leur chiffre d’affaires dans un domaine autre que la pharmacie : les engrais pour Bayer, la cosmétique pour Johnson&Jonhson, la nutrition pour GSK… Ces entreprises sont des géants modestes à l’échelle du capitalisme du XXIe siècle : seulement une vingtaine d’entre elles dépassent les 10 milliards d’euros de chiffre d’affaires. Le leader, J&J, réalise un peu plus de 80 milliards de dollars de chiffre d’affaires (dont moins de la moitié pour la pharmacie), contre 500 milliards pour le distributeur américain Wallmart, ou plus de 300 milliards pour le pétrolier chinois Sinopec.
Quand les premiers vaccins seront mis sur le marché, que deviendront ceux qui sont en phase de tests ?
Investir dans le développement d’un vaccin est une prise de risque financier importante, à cause d’un taux d’échec élevé. Mais les laboratoires moins avancés ont toujours intérêt à continuer leurs recherches. Le 15 novembre, Olivier Bogillot, président de Sanofi France, en donnait les raisons sur CNews : « C’est une course où il faut qu’il y ait plusieurs vainqueurs (…). Il faudra qu’il y ait beaucoup d’industriels parce qu’il va falloir beaucoup de doses. » En effet, des milliards de doses ne pourront être produites par un seul laboratoire, ce qui rend les concurrents complémentaires.
Par ailleurs, les vaccins n’auront pas tous les mêmes caractéristiques (prix, conservation…), et ne sont pas tous adaptés à la vaccination de masse. Les industriels dont les recherches n’ont pas abouti peuvent aussi s’engager à utiliser leurs infrastructures pour fabriquer les vaccins concurrents autorisés, comme le propose la Commission européenne. Pour la vaccinologue Marie-Paule Kieny, « si [les industriels] échouent, ils voudront collaborer avec leurs concurrents ».
Les vaccins candidats sont-ils aussi efficaces pour tout le monde ?
De nombreux vaccins sont connus pour être moins efficaces sur les personnes âgées ou souffrant de maladies chroniques. Il est parfois nécessaire d’augmenter les doses ou la présence d’adjuvants pour mieux stimuler leur réponse immunitaire.
Concernant les vaccins candidats contre le SARS-CoV-2, les études sont en général trop peu avancées pour se faire une idée précise de leur efficacité en fonction de ces critères. Toutefois, les résultats complets des essais de phase 3 du vaccin de Pfizer/BioNtech indiquent une efficacité « en général cohérente », même pour les personnes âgées ou obèses.
Le vaccin germano-américain Pfizer-BioNTech a été le premier à recevoir le feu vert des autorités sanitaires britanniques, et à être administré à des citoyens hors essais cliniques, le 8 décembre, au Royaume-Uni. Reposant sur la technique de l’ARN messager, il avait été présenté par un communiqué du laboratoire comme efficace à 95 % vingt-huit jours après la première dose. Chez les plus de 65 ans, population la plus à risque, l’efficacité atteint les 94 %. Deux doses de vaccin ou de placebo espacées de trois semaines ont été injectées aux 43 000 volontaires (présents notamment aux Etats-Unis, en Turquie, en Allemagne, ou au Brésil). Au total, 170 cas de Covid-19 ont été observés : 162 dans le groupe mis sous placebo, et 8 dans le groupe vacciné. Parmi eux, 10 personnes ont développé des formes graves (9 dans le groupe sous placebo, 1 dans le groupe vacciné).
La FDA, l’agence américaine des médicaments, a publié le 8 décembre un rapport confirmant sa très haute efficacité, dès la première injection, y compris pour les personnes les plus à risque. L’immunité contre le Covid se maintient pour une durée d’au moins deux mois, sachant que l’on n’a pas encore de recul supplémentaire. De nombreux effets indésirables modérés ont été observés (maux de tête, fièvre, douleur…), mais assez peu d’effets secondaires sévères.
L’un des principaux inconvénients de ce vaccin reste le fait qu’il doit être conservé autour de − 70 °C, dans des super-congélateurs, ce qui rend la logitisque compliquée. Pfizer-BioNTech espère produire 50 millions de doses à l’échelle mondiale avant la fin de 2020, et jusqu’à 1,3 milliard d’ici à la fin de 2021.
Le vaccin candidat américain, qui repose sur la technologie de l’ARN messager, est efficace à plus de 94 %, selon des résultats publiés le 16 novembre et confirmés par une analyse de l’Agence américaine du médicament (Food and Drug Administration).
Le 18 décembre, une réunion d’experts de la FDA spécialisés sur les vaccins devrait aboutir à une autorisation de mise sur le marché américain.
L’étude a été réalisée sur plus de 30 000 participants aux Etats-Unis, dont 42 % sont des individus à risque (volontaires de plus de 65 ans ou présentant un autre facteur de risque). Le 30 novembre, Moderna a confirmé en publiant les résultats complets une efficacité estimée à 94,1 % (avec 196 cas de Covid-19 observés, dont 30 sévères). A noter que ce vaccin peut se conserver un mois entre 2 et 8 °C, ou pendant six mois à − 20 °C. Il paraît donc plus facile à distribuer.
On ne connaît pas encore sa durée d’immunité, même si de premiers résultats lui attribuent au moins trois mois de protection. On ignore aussi s’il empêche la transmission du virus. Les études se poursuivront pendant deux années supplémentaires afin de mieux cerner ces questions primordiales. Sous réserve d’une autorisation de mise sur le marché, le patron français de Moderna, Stéphane Bancel, a annoncé que son vaccin candidat pourrait être commercialisé avant la fin de 2020 aux Etats-Unis, et dès janvier 2021 en Europe.“
Le vaccin du laboratoire britannique AstraZeneca, associé à l’université d’Oxford, est efficace à 70 % en moyenne contre le Covid-19, selon une étude publiée dans la revue scientifique The Lancet, conformément à ce qu’avait annoncé le laboratoire dans le courant de novembre. Ce vaccin candidat est basé sur un « vecteur viral », derivé d’un adénovirus de chimpanzé. Les résultats présentés portent sur deux schémas d’administration :
- un groupe majoritaire (près de 8 900 volontaires) a reçu deux doses à un mois d’écart : l’efficacité est de 62 %
- les autres participants (environ 2 740) ont reçu d’abord une demi-dose, puis une dose le mois suivant : l’efficacité est de 90 %
C’est la combinaison des deux résultats qui a permis d’atteindre une efficacité moyenne de 70 %. Sur les 131 personnes contaminées, aucun cas grave de Covid-19 n’a été observé parmi la population vaccinée. Ce vaccin candidat se démarque des autres : il est plus facile à stocker, et sera vendu à prix coûtant (2,50 euros la dose) pendant la durée de la pandémie. Les essais doivent se poursuivre avec 60 000 volontaires, mais le laboratoire espère déjà pouvoir produire 3 milliards de doses par an dès 2021.
L’Institut d’Etat Gamaleïa a assuré le 24 novembre une efficacité de 95 % pour son candidat-vaccin Spoutnik-V. Il s’agit d’un vaccin à « vecteur viral » utilisant deux adénovirus transformés. Ces résultats intermédiaires ont été obtenu quarante-deux jours après l’injection de la première dose. Une première annonce le 11 novembre faisait état d’une efficacité de 92 %, vingt-huit jours après l’injection de la première dose.
Contrairement aux autres laboratoires, l’Institut n’a pas communiqué tous les détails de ses essais cliniques, tel que le mode de recrutement de ses volontaires. Une opacité qui, parmi d’autres incertitudes, pose question dans le milieu scientifique. La phase 3 se poursuit actuellement avec un panel de 40 000 participants. La Russie a d’ores et déjà annoncé pour sa population une vaccination de masse gratuite fin décembre ou début janvier, et un vaccin peu coûteux à l’international avec un prix « inférieur à 10 dollars [8,40 euros] la dose ». Plus de 10 000 personnes parmi les groupes à risque, comme le personnel soignant, ont déjà été vaccinées. Le pays a également commencé à vacciner plus de 2 500 militaires.
Quelle différence entre la prévention contre la maladie et la protection contre l’infection ?
Les vaccins préventifs permettent de prévenir l’apparition d’une maladie d’origine infectieuse. Les vaccins thérapeutiques permettent, quant à eux, d’aider le patient à lutter contre une maladie en cours, en déverrouillant le système immunitaire grippé par des mécanismes de la maladie. « Cette approche thérapeutique connaît un véritable engouement en cancérologie. Des essais ont également lieu pour lutter contre l’infection chronique par le VIH. Dans ce cas, l’objectif est de parvenir à maintenir durablement la charge virale des patients au plus bas niveau possible, en stimulant leur système immunitaire contre les cellules qui hébergent le virus », explique l’Inserm.
Les vaccins développés contre le Covid-19 sont actuellement tous des vaccins préventifs, pour lesquels il faudra savoir quelle sera la durée de protection, contre quoi il protégeront (l’infection, la maladie, les formes graves…), et avec quelle efficacité pour les différentes populations étudiées, et en particulier les populations à risque d’infections sévères.
Qu’est-ce que le challenge infectieux ?
Après s’être assuré de l’innocuité et de l’existence d’une réponse immutaire, les concepteurs d’un vaccin procèdent à un essai dit de phase 3, qui consiste à innoculer le vaccin à un grand nombre de volontaires (des dizaines de milliers) et à attendre que ces volontaires, ainsi que ceux qui ont réçu un placebo, soient en contact avec le virus afin de comparer, entre les deux groupes, le nombre de contaminations. Or cela prend du temps. La méthode du challenge infectieux consiste à inoculer le virus pour déterminer plus rapidement dans quelles mesures le vaccin en test est efficace. Ce qui pose un problème éthique colossal : peut-on sciemment faire courir le risque d’infecter un volontaire, fût-il jeune et en bonne santé, avec un virus provoquant une maladie grave et mortelle, et contre laquelle il n’y a pas de traitement, dans le but d’en protéger des millions d’autres ? En France, de tels essais sont a priori écartés. Au Royaume-Uni, une expérience en ce sens est envisagée pour le début de l’année 2021 dans un hôpital londonien.
La Chine vaccine sa population alors que l’efficacité des vaccins n’a pas encore été établie. Le laboratoire Sinopharm a annoncé en novembre que deux de ses vaccins avaient déjà été inoculés à près d’un million de personnes, avec une priorité donnée au personnel soignant et aux travailleurs se rendant à l’étranger. D’autres candidats-vaccins chinois (Sinovac, CanSino Biologics) ont également été administrés à la population. Cette stratégie soulève des questions de santé publique, mais elle représente un enjeu qui dépasse les questions sanitaires. En devenant le premier pays à vacciner ses habitants, la Chine cherche à redorer son image, ternie par la pandémie. Le pays a, en effet, essuyé de nombreuses critiques quant au manque de transparence des autorités sur l’origine du virus. Ainsi, en mai dernier, le président chinois Xi Jinping s’était engagé à partager ses vaccins avec des dizaines de pays à faible revenu. Tout vaccin chinois deviendrait « un bien public mondial », avait-il déclaré.
Une autre technique moderne, celle du « vecteur viral », est utilisée par l’Institut russe Gamaleïa ou le laboratoire AstraZeneca. Elle s’appuie sur des virus qui ne sont pas pathogènes pour l’homme (des adénovirus), transformés et adaptés pour lutter contre le Covid-19.
Des équipes chinoises, comme le laboratoire Sinopharm, travaillent avec une technique plus traditionnelle : l’utilisation d’un virus inactivé refermant des microbes entiers tués : « Ces vaccins ne présentent donc aucun risque infectieux, mais ils sont souvent responsables de réactions importantes », précise l’Inserm.
Enfin, la societé de biotechnologie américaine Novarax développe un vaccin dit « sous-unitaire », qui repose sur une stratégie de protéines recombinantes injectées dans l’organisme. Comme l’explique l’OMS, les vaccins sous-unitaires, comme ceux qui sont inactivés « ne contiennent pas de composants vivants de l’agent pathogène ». La différence, c’est qu’ils comportent « uniquement des fragments antigéniques de l’agent pathogène (…) nécessaires pour induire une réponse immunitaire protectrice ».
Comment l’acheminement des vaccins va-t-il être organisé ?
Le transport et le stock des vaccins représente un défi logistique important. Les lieux de production, les températures de conservation requises (le candidat-vaccin de Pfizer/BioNTech doit être conservé à – 70 °C, donc dans des congélateurs spéciaux) et l’organisation des pouvoirs publics sont autant d’inconnues pour les transporteurs aériens, qui se préparent à de fortes sollicitations. Au niveau mondial, l’Association internationale du transport aérien considère qu’au moins 1 000 Boeing 747 cargos seront nécessaires pour livrer les premières doses de vaccin contre le Covid-19. Les logisticiens français les plus importants, comme Géodis, Bolloré Logistics ou CMA CGM, se positionnent déjà auprès des sociétés pharmaceutiques pour prendre leur part de marché face à la concurrence internationale.
La question de l’acheminement des vaccins fabriqués sur le territoire français est à prendre en compte également. Moderna s’est associé avec le laboratoire de sous-traitance suédois Recipharm, et son site français de Monts (Indre-et-Loire) pour fabriquer ses vaccins. Pfizer/BioNTech a, quant à lui, choisi de collaborer avec le sous-traitant français Delpharm. L’entreprise située à Saint-Rémy-sur-Avre (Eure-et-Loir), spécialisée dans les flacons stériles injectables, sera donc chargée de mettre en forme les vaccins du géant pharmaceutique américain. « Pour l’instant, nous avons plus de questions que de réponses », a déploré le 30 novembre auprès du Parisien la Fédération nationale des transports routiers (FNTR).
Dans l’histoire de la vaccination, existe-t-il des exemples documentés d’effets secondaires graves ?
Comme pour tous les médicaments, il peut y avoir des effets secondaires ou indésirables (un peu de fièvre, une douleur au point d’injection…), et dans le cas des vaccins vivants atténués le risque infectieux n’est pas nul, reconnaît l’Inserm, précisant qu’ils ne doivent pas être administrés à des personnes présentant un déficit immunitaire ou aux femmes enceintes. Mais, outre ces précautions, les risques des vaccins sont normalement encadrés par les régulateurs.
Le fiasco de Sanofi avec son vaccin contre la dengue, est une triste exception : en 2017, le géant pharmaceutique français admet que son produit peut augmenter le risque de dengue sévère chez des enfants jamais exposés au virus. Plusieurs enquêtes sont lancées aux Philippines : les autorités soupçonnent le vaccin, qui y a été autorisé en 2015, d’être responsable de décès d’enfants. Sanofi a reçu des autorisations de mise sur le marché de la part des autorités sanitaires américaines et européennes, mais sous condition (chez des patients ayant déjà été infectés et vivant dans des zones d’endémie).
Il est établi que certains vaccins représentent une manne pour les laboratoires, comme celui contre la grippe, vendu tous les ans à une large population et nécessitant moins d’investissement qu’un nouveau vaccin.
A titre d’illustration, Sanofi a réalisé 5 milliards d’euros de chiffre d’affaires pour sa branche vaccins (Sanofi Pasteur) en 2017. L’année précédente, la même entreprise avait connu un fiasco avec son vaccin contre la dengue : malgré vingt ans de recherche et développement et un budget de 1,5 milliard d’euros, le vaccin n’a pas provoqué la réponse immunitaire escomptée, a été interdit aux Philippines (où l’Etat a accusé Sanofi d’avoir tué des enfants) et limité à un usage restreint ailleurs dans le monde.
Alors que la vaccination n’a débuté qu’au début de décembre au Royaume-Uni, puis aux Etats-Unis, la Chine avait autorisé dès l’été l’inoculation de vaccins expérimentaux. A la mi-octobre, un million de personnes avaient reçu une dose de l’un d’entre eux, a annoncé l’entreprise chinoise Sinopharm en précisant qu’elle n’avait pas eu connaissance de réactions indésirables graves. La Russie, quant à elle, avait lancé la vaccination de ses soignants dès septembre, et quelque 50 000 Russes ont déjà reçu une dose du vaccin Spoutnik-V, dont la phase d’expérimentation a été raccourcie, suscitant l’inquiétude d’experts en virologie. A cela s’ajoutent les dizaines de milliers de volontaires à travers le monde (Pérou, Brésil, Turquie, Maroc…) qui se sont vu administrer ces derniers mois des vaccins candidats dans le cadre d’essais cliniques.
Les gouvernements auront-ils un contrôle sur le prix des vaccins ?
Les vaccins relèvent depuis 2006 de l’ADPIC, un accord international sur la propriété intellectuelle reconnu par l’Organisation mondiale du commerce (OMC) qui permet aux laboratoires de fixer librement le prix de leurs produits médicaux.
En octobre, l’Inde et l’Afrique du Sud, avec le soutien du Kenya, de l’Eswatini et de multiples représentants de la société civile, ont tenté de faire adopter un texte libérant provisoirement les vaccins des brevets qui les protègent juridiquement afin de permettre une production plus large et plus abordable. Ce texte a toutefois été rejeté mi-octobre, notamment par les pays possédant une importante industrie pharmaceutique, regrette Amnesty International.
Néanmoins, les gouvernements possèdent des leviers pour négocier en amont le prix de ces vaccins. Notamment en jouant sur les quantités de stocks achetées. Les pays européens ont ainsi choisi de passer, par exemple auprès de Pfizer et BioNTech, des commandes groupées et ont ainsi bénéficié d’un pouvoir de négociation plus important que s’ils négociaient de façon bilatérale ; tout comme l’OMS, qui a achetée 1,6 milliard de doses pour les pays émergents, par l’initiative Covax. Par ailleurs, la résolution de l’OMS sur l’amélioration de la transparence des prix, adoptée en 2019, incite les laboratoires pharmaceutiques à rendre publiques certaines informations sur le coût de leurs produits, afin que les Etats acheteurs soient informés du coût réel des vaccins.
Enfin, les gouvernements ont également un pouvoir en aval : en se portant acquéreurs, ils peuvent revendre les doses à la population à un prix qu’ils ont eux-mêmes fixé.
Pourquoi l’OMS avait-elle évoqué un taux d’efficacité de 50 % dans sa feuille de route sur la stratégie vaccinale ?
« Nous aimerions voir un vaccin ayant une efficacité d’au moins 50 % » , a affirmé en septembre Soumya Swaminathan, qui dirige le département scientifique de l’Organisation mondiale de la santé (OMS). Interrogée sur ce que serait le vaccin idéal, la chercheuse indienne espérait avoir un vaccin plutôt efficace à 70 %, mais sinon avec un plancher de 50 %. Un peu plus tôt, en août, la responsable tablait sur une efficacité minimale de 30 %, espérant qu’elle puisse être plutôt de 50 %.
Cette prudence quant à l’efficacité souhaitée d’un vaccin est liée aux contraintes que rappelle l’organisation : il doit être sûr à la fois à court et à long terme. Il doit être sans danger pour différents groupes d’âge – des enfants aux femmes enceintes, en passant par les personnes âgées. Idéalement, il devrait être administré en une seule injection. Il devrait offrir une immunité aussi longtemps que possible, plusieurs années au moins, et il devrait être facile à stocker et à distribuer, ce qui signifie qu’il ne devrait pas nécessiter de stockages à très basse température, qui ne sont pas disponibles dans de nombreux endroits.
Source: Le Monde